Lather (1996)

Lather frank zappa

Disque 1

1 - Re-gyptian Strut 4:36
2 - Naval Aviation In Art 1:33
3 - A Little Green Rosetta 2:50
4 - Duck Duck Goose 3:00
5 - Down In De Dew 2:58
6 - For The Young Sophisticate 3:15
7 - Tryin' To Grow A Chin 3:26
8 - Broken Hearts Are For Assholes 4:40
9 - The Legend Of The Illinois Enema Bandit 12:43
10 - Lemme Take You To The Beach 2:47
11 - Revised Music For Guitar & Low Budget Orchestra 7:36
12 - RDNZL 8:15

Disque 2

1 - Honey, Don't You Want A Man Like Me 4:57
2 - The Black Page #1 1:58
3 - Big Leg Emma 2:19
4 - Punky's Whips 10:59
5 - Flambé 2:06
6 - The Purple Lagoon 16:22
7 - Pedro's Dowry 7:46
8 - Läther 3:50
9 - Spider Of Destiny 2:40
10 - Duke Of Orchestral Prunes 4:21

Disque 3

1 - Filthy Habits 7:12
2 - Titties'n'Beer 5:23
3 - The Ocean Is The Ultimate Solution 8:33
4 - The Adventures of Greggery Peccary 20:57
5 - Regyptian Strut (1993) 4:42
6 - Leather Goods 6:01
7 - Revenge Of The Knick Knack People 2:25
8 - Time Is Money 3:04

En premier lieu, "Läther" est un projet faramineux de Zappa comme seul le Maître peut les imaginer. Pour synthétiser l'ensemble de son savoir-faire aussi bien sur scène qu'en studio, il veut publier un coffret de 4 disques vinyles. Nous sommes en 1977, la Warner refuse de prendre en charge le projet. Au lieu d'un coffret, la maison de disques publiera les deux années suivantes 4 albums séparés sans demander l'avis de leur auteur : "Zappa in New York" (1978), "Studio Tan" (1978), "Sleep Dirt" (1979) et "Orchestral Favorites" (1979).

Bien avant cette publication sauvage, Zappa se permettra de passer l'intégralité de "Läther" sur une radio. Il précise avant l'écoute que tout ce qui va être entendu ne sera probablement jamais gravé pour le grand public. Zappa se fâche tout rouge contre la Warner, leur colle un procès puis claque la porte de son label pour monter le sien intitulé sobrement "Zappa Records". "Läther" sera tout de même édité sous la forme de 400 coffrets destinés aux radios mais jamais commercialisés.

Trois ans après le décès de Zappa, "Läther" sort en triple CD dans sa version originale telle que voulue par l'auteur.

"Re-gyptian Strut" est le premier des 12 titres de la première galette. Après un début bordélique, le titre allonge le pas sur un jazz lent ou cuivres et marimbas/vibraphone prédominent. Joli morceau d'ouverture, "Re-gyptian Strut" a un petit air conquérant pas déplaisant.L'obscurité gagne au son du très court "Naval Aviation In Art". Les violons tremblent et crissent, instillant un climat oppressant. Changement radical avec "A Little Green Rosetta" mi piano bastringue, mi-guitare façon Woodstock.

Sur le riff lourd de "Black Dog" de Led Zeppelin, Zappa construit le début de "Duck Duck Goose" qui dérape très vite dans l'absurde. Blips, hoquets, rires, couacs et autres pitreries se suivent sans se ressembler. L'instrumental calme "Down In De Dew" ressemble à une mâtinée de week-end, où le temps qui passe a moins d'importance que celui à venir. Dénué d'ironie, le morceau est un pur enchantement cristallin. Toujours dirigé vers une ambiance rock classique, "For The Young Sophisticate" évolue favorablement vers un titre très standard où la guitare suit les rails de la voix. Voilà une chanson qui pourrait aisément passer en radio. En mode toujours rock et encore passablement énervé, "Tryin' To Grow A Chin" respecte aussi le format radio avec trois minutes et demi de chaleur rock intense.

"Broken Hearts Are For Assholes" évolue entre rock (voire punk au début) et reggae sur le final. Zappa s'amuse avec ses comparses et fait de cette chanson un moment potache à partager entre amis. Arrive enfin le grand moment de ce premier tome avec le long "The Legend Of The Illinois Enema Bandit" qui commence sur un air martial et théâtral. Puis le blues démarre. Le solo qui prend place à la 3ème minute s'énerve délicieusement au fur et à mesure. Mais déjà (trop tôt !) Zappa reprend la parole vers la 8ème minute pour continuer de dérouler son histoire. Jolie fin gospel et doo-wop. Morceau crétin "Lemme Take You To The Beach" reste pourtant un court moment de bonheur musical avec ses claviers virevoltants et sa bande-son s'apparentant à une BOF. Les sonorités de claviers datés en rajoutent une couche dans le kitsch.

Avant de refermer ce premier tome, Zappa fait un détour par une campagne jazz avec cet "Revised Music For Guitar & Low Budget Orchestra". Très complexe, ce morceau joue aussi sur la musique contemporaine en s'imbriquant de manière subtile. Visuel et souvent baroque, cet instrumental multicolore apporte une jolie lumière irisée à cette première partie plutôt orientée rock. Dernière salve avec "RDNZL" qui concluera aussi "Studio Tan". Départ jazz, puis guitare en avant pour un instrumental doué de raison. Aux alentours de la 5ème minutes les claviers prennent le relais pour laisser entrer le piano. Celui-ci conclue avec une partie jazz volatile qui termine ce premier tome.

La seconde galette débute avec "Honey, Don't You Want A Man Like Me". Morceau hésitant et chaotique, ce premier titre donne une tonalité rythm'n blues au milieu des effets de voix qui jalonnent l'ensemble. La fin, avec batterie épileptique et voix crétines met un point final brutal à la chose. Petit extrait de "The Black Page #" sous les auspices d'un vibraphone avenant, puis un court blues électrique "Big Leg Emma".
Première grosse pièce d'artillerie avec "Punky's Whips". Après un démarrage un poil poussif, le titre prend sa vitesse de croisière à la 2ème minute. Avec un semblant de désorganisation totale, "Punky's Whips" a typiquement une forme progressive, avec une alternance de passages sans rapport les uns avec les autres. Beaucoup de cuivres et pas mal de paroles hurlées pour ce grand effort de plus de 10 minutes. Un joli solo rock clôt l'affaire.

Coute intervention jazz du couple piano/vibraphone sur "Flambé", ambiance enfumée et alcoolisée garantit, puis à nouveau un gros morceau. "The Purple Lagoon" démarre bizarrement pour fixer son cap sur un jazz cuivré tendu possible par les assauts répétés du saxophone. A la 6ème minute, le jam continue avec l'apparition de la six cordes qui prend la place du saxo dans un discours tout aussi énervé. Puis c'est au tour de la basse de s'exprimer, dans un registre aigu et moelleux. L'ambiance se calme jusqu'au quasi silence. Le final se fait dans une débauche de cuivres étincelants, sublimant la précision de la partition. Un très beau moment jazz, avec cet instrumental haut en couleurs.

Immersion dans la musique contemporaine avec "Pedro's Dowry". Ambiance malsaine et images de films noirs se succèdent. Trompettes gémissantes, violons frileux et cuivres tendancieux font suite dans un cortège aussi macabre qu'aliéné. On ressort toujours difficilement indemne de ce genre d'expérience.

Tout en douceur et en notes égrenées, "Läther" prend un vol léger en harmonie avec un jazz tirant vers le rock progressif. Le clavier crée une ambiance spatiale. Instrumental agréable et transparent comme la gaze, "Läther" séduit. "Spider Of Destiny" est plutôt langoureux et démonstratif mais garde aussi une part de mystère oriental caché dans les percussions du vibraphone. Joli instrumental pour terminer ce deuxième CD. "Duke Of Orchestral Prunes", présent également sur "Orchestral Favorites" convie un orchestre à accompagner la guitare de Zappa. A la façon d'un générique de série policière, "Duke Of Orchestral Prunes" fait ronfler des cuivres au milieu des arcs électriques ourdis par la guitare. Beau final pour un CD 2 plutôt réussi.

Pour attaquer la dernière galette sonore, usons un peu ce "Filthy Habits" figurant aussi sur "Sleep Dirt". Rock, jazz, très oriental, "Filthy Habits" est une jolie réussite en regard des nombreuses parties qu'il révèle à la lumière. Avec ses plus de 7 minutes, l'instrumental a le temps de s'installer. La guitare de Zappa virevolte et se détache de l'ensemble dans une surbrillance qui confine à la magie. Mais à la 6ème minute rien ne va plus. La musique s'arrête pour laisser la place aux rires, bruits sourds, onomatopées et "blips" qui semblent être une constante dans le final de chaque titre de ce tryptique.

Après une entrée en matière prometteuse, "Titties'n'Beer" se focalise autour d'un dialogue entre Zappa et Terry Bozzio qui parle essentiellement de nibards et de binouzes (d'où le titre...). On passera rapidement sur ce titre avant d'arriver à "The Ocean Is The Ultimate Solution". Démarrant en mode acoustique, ce nouvel instrumental virtuose et hyper technique flirte avec les courants qui traversent habituellement la musique de Zappa. Rock, jazz, ce fabuleux morceau joué en trio (guitare/basse/batterie) relègue à la niche tous les tâcherons du genre. Véritable fresque et modèle du genre, "The Adventures of Greggery Peccary" raconte une histoire visible sur la chronique de "Studio Tan" de ce présent site. Très coloré ou très sombre selon l'humeur, cette longue suite prend des couleurs bleues, roses ou grises suivant l'ambiance. En collant des images issues tour à tour de dessins animés, de films noirs ou autres pellicules glauques, Zappa nous fait un tour du propriétaire très complet de ses possibilités en matière de jazz, rock, pop, et musique contemporaine.

"Regyptian Strut" bis répétita mais cette fois-ci en version de 1993. Même titre avec Chad Wackerman derrière les fûts en lieu et place de Terry Bozzio. Après cette redite, "Leather Goods", qui ne figure sur aucun autre album du Zappa, prend la parole au travers de la guitare qui va rester seule un bon moment. Après 3 minutes et demi de solo, un blues aérien se fait entendre pour quelques secondes avant que la six cordes n'entame un second solo. Le final se fait sur "Black Dog" emprunté à Led Zeppelin.

"Revenge Of The Knick Knack People" s'adonne à la musique contemporaine avec divers bruitages et percussions puis "Time Is Money" pour finir, avec jazz mystérieux qui sonne très années 80.

Long et joli projet donc qui se trouvera réhabilité 3 ans après la disparition du bonhomme et publié comme il le souhaitait au départ.

Même si les morceaux sont déjà connus et éparpillés par ailleurs sur d'autres disques, les entendre assemblés ici d'une toute nouvelle manière peut modifier l'appréhension qu'on en a.

Beau devoir de mémoire en tous cas.